Interview F. Gilson, pour Le Soir et Sud Presse, le 7 avril 2011
Etude complète proposée :
La gestuelle du capitaine est-elle ad hoc ?
Par André Jacques et Pierre Efratas,
consultants experts en communication non verbale
Haddock : mille milliards de mille émotions !
Contrairement à la plupart des personnages dont Hergé a dessiné les yeux en traçant un simple point noir ∙ (iris), seuls les yeux du capitaine Haddock sont représentés par de petits cercles 0 représentant le blanc des yeux.
Or, chez l’humain, lorsque le blanc des yeux est visible sous ou au-dessus de l’iris cela traduit toujours un état émotionnel négatif (surprise, scepticisme, sarcasmes, colère).
De surcroît, les commissures de ses lèvres sont très souvent orientées vers le bas, significatif d’une émotion négative.
Sa tension intérieure est également très palpable, par l’usage de rides verticales et horizontales contrairement à Tintin et aux autres personnages dont le visage est lisse (sans émotion ?).
Haddock est représenté la plupart du temps avec une bouche largement ouverte : en d’autres termes, toujours ouvert à l’émotion. C’est un hypertonique. C’est donc un personnage émotionnel à 200%. C’est pourquoi, probablement, il nous paraît si sympathique malgré tous ses défauts.
Tintin et Haddock : plus complémentaire que ça…
La planche la plus symbolique du duo de Tintin et Haddock est certainement la 29 du « Crabe aux pinces d’or », où l’on voit Haddock soutenu par son ami, la tête inclinée à gauche dans l’empathie et l’émotion positive, si pas affective, les deux personnages marchant d’un même pas.
Tintin et Haddock sont complémentaires, tout comme Astérix et Obélix, Spirou et Fantasio, … c’est l’association ou juxtaposition du rationnel et de l’émotionnel.
Le visage lisse de Tintin, par l’absence de rides (ligne claire J), dégage une impression positive contrastant avec le visage bourru et ridé du capitaine.
Sa bouche est petite, plus réservée est hypotonique. Elle exprime ainsi moins ses émotions que Haddock dont la bouche est constamment largement ouverte. Il est cependant intéressant de relever le fait que lorsque Haddock s’adresse directement à Tintin plus aucun trait vertical, illustrant la colère ou l’agressivité, n’apparaît. Cependant, dès que Haddock, à la case suivante, s’adresse à un autre personnage, les traits verticaux, sourcils froncés, bouche vers le bas réapparaissent immédiatement.
Les deux amis se tiennent souvent proches l’un de l’autre, penchés l’un vers l’autre (complicité). Il arrive même qu’ils se prennent le bras. A cet égard, on se référera notamment au « Crabe aux pinces d’or » où ils se rencontrent pour la première fois et au « Secret de la Licorne », où leur complicité gestuelle est maximale (planches 22, 26, 32, 55 et 62).
Haddock et Abdallah : cocktail d’émotions garanti.
Pour comprendre l’interaction des deux personnages, il faut consulter la planche 5 de « Coke en stock ». Abdallah cherche à attirer l’attention du capitaine et susciter des réations et Haddock a du mal à cacher son affection.
La page commence avec un Haddock dont la bouche inclinée vers la droite (il tente de rationaliser ce qui se passe) exprime une longue mimique de surprise, avec les sourcils relevés et le corps légèrement penché vers l’avant (intérêt, souci de comprendre), vers le garnement qui monte les escaliers. Elle se poursuit avec un Haddock qui utilise sa main gauche émotionnelle, index pointé mais avec le pouce en dedans (pose démonstrative avec une émotion rentrée). Après une pause où Haddock penche la tête à gauche, sourcils relevés exprimant ainsi son état émotionnel positif et affectif en versant une larmichette.
Ensuite, lorsqu’il se fâche, sourcils en V, il utilise sa main droite (celle qui argumente), l’index accusateur pointé et le pouce levé, c’est ce que nous appelons les doigts « revolver » (prêt à tirer). Au total, Haddock n’est jamais fondamentalement agressif par rapport à cet enfant qui le cherche constamment. On peut le constater en se référant aux rides horizontales chez le capitaine qui indiquent un état émotionnel positif.
Haddock et Séraphin Lampion : ce n’est pas la fête !
Les planches 6, 61 et 62 de « L’Affaire Tournesol » nous montrent un Séraphin Lampion à la gestuelle très ouverte recourant à de grands gestes de bateleur. Sa bouche est constamment ouverte sur un « American smile » (sourire, mais pas de ridules pour l’authentifier), les yeux mi-clos (contentement de soi, jouissance intérieure) et la main gauche (émotionnelle) ouverte.
Il plastronne en permanence, et caresse son ventre (planche 62), espace de matérialité, signifiant ainsi « n’oubliez pas ce que je représente, je suis fier de moi ». Ces effets s’accentuent encore lorsque, dans la planche 6, l’inénarrable Lampion, en bon commercial, pose sa main émotionnelle (gauche) sur l’épaule de Haddock en signe d’empathie appuyé, légèrement condescendante.
A présent, observons Haddock en planche 5. Son regard « par-dessus » avec le menton relevé indique son intention conflictuelle. Ses sourcils en V intérieurs nous en disent long sur son agressivité et sa suspicion. Il regarde Lampion de l’œil droit, dévoilant son analyse du personnage et sa mise à distance.
Haddock et Bianca Castafiore : je t’aime, moi non plus.
« Les Bijoux de la Castafiore » et la planche 61 de « Tintin et les Picaros » nous montrent un Haddock toujours sur ses gardes, tête en arrière, yeux souvent écarquillés ou avec les sourcils en V indiquant des colères rentrées et de l’agacement.
Parfois, face aux outrances gestuelles du rossignol milanais, en mouvements amples perpétuels (signant un besoin constant de reconnaissance et une fameuse dose d’égocentrisme), ses sourcils se relèvent et sa bouche « tire vers le bas », une combinaison traduisant une angoisse intérieure. Il arrive aussi que ses mains se présentent paumes vers l’extérieur (peur ou refus du contact) ou jointes convulsivement (prière, retour sur soi-même face au typhon émotionnel).
Au cours de leurs dialogues, Hergé montre, à l’aide de gouttelettes, un Haddock transpirant, signant ainsi son trouble intérieur. Vis-à-vis de la Castafiore et de ses débordements affectifs, Haddock manifeste avant tout un sentiment de peur et de malaise.
Conclusion :
Il est clair que le talent d’Hergé, en tant qu’auteur de bande dessinée professionnel, a été de nous raconter une histoire avec des dessins plus qu’avec des mots. De nous communiquer des émotions par des mimiques, gestes, attitudes … qu’il a du observer longuement avant de pouvoir les traduire si justement dans ses dessins. C’est un remarquable observateur !
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